CHAPITRE VIII

Orbret avait bien fait les choses, pensa Suwa en s'avançant vers la petite maison, où elle allait passer des moments difficiles mais combien exaltants !

Il faisait froid, et elle marchait péniblement. Une servante la soutenait du côté droit et Liika, sa fidèle amie Liika, du gauche.

— Tu verras, tout va bien se passer.

— Oui… J'en suis sûre.

Suwa n'était sûre de rien. Sinon qu'elle avait peur. Son ventre rond tendait le tissu de sa robe ; elle avait mal, aussi.

Près de la maisonnette, un moine jouait de l'archet en chantant pour écarter les esprits néfastes. Un autre, agenouillé devant un autel, faisait brûler des bandes de papier sacré dont la fumée porterait vers les dieux les prières de la future accouchée. Tout à leur cérémonie, les deux saints hommes ne prêtèrent aucune attention aux trois femmes. Suwa se déchaussa et pénétra dans la demeure où elle allait vivre pendant un mois. Elle se sentait un peu rassurée. Pieuse, elle était sûre que les mauvais génies ne viendraient pas l'importuner pendant ses couches.

La maison, très simple, comportait trois pièces. Les fenêtres avaient été masquées de tissu blanc, et un grand matelas, également bordé de blanc, était disposé au centre de la pièce principale. Suwa se contracta, comme si la simple vue de ce matelas déclenchait des crampes douloureuses dans son ventre.

— Tu souffres ? lui demanda Liika avec anxiété.

— Une femme de guerrier méprise la souffrance, répliqua orgueilleusement Suwa.

— Viens tout de même te reposer.

Dans la chambre contiguë, Suwa s'allongea avec gratitude sur un lit. Pendant que Liika et la servante s'affairaient à préparer le grand événement imminent, elle se laissa aller. Elle pensa à Orbret. Elle tremblait pour lui. Où se trouvait-il, en cet instant ? Elle aurait tant aimé qu'il soit à l'abri des murs de la forteresse… Mais le seigneur Akhebo l'avait envoyé en patrouille à la frontière de la province, à plusieurs jours de cheval.

Elle ferma les yeux. De toute manière, même si Orbret s'était trouvé là, il n'aurait pu l'assister lui-même. L'usage voulait que l'époux ne pénètre pas dans le lieu où sa femme avait enfanté avant que le bébé n'ait atteint l'âge d'un mois… Mais tout de même… Suwa n'aurait pas redouté qu'il tombe, percé d'une flèche.

De toute sa volonté, Suwa refusa cette éventualité. Son mari ne pouvait périr ainsi ! Orbret était un héros, un guerrier invulnérable. À lui seul, il pouvait vaincre la coalition des rebelles et pacifier l'île de Kulin !

La jeune femme savait bien qu'elle rêvait… Mais c'était si bon de rêver ! Si bon de se dire qu'Orbret ne risquait pas sa vie, qu'il reviendrait couvert de gloire et qu'il tiendrait bientôt son premier enfant dans ses bras. Cela lui donnait du courage, lui faisait moins redouter l'avenir.

Suwa préférait songer au passé qu'à l'avenir. Son ventre se contracta douloureusement. Son mariage ! Elle pensa de toutes ses forces à son mariage… Il avait été si rapide… et si intime. Seuls y avaient assisté Calhan, Liika et Zelmiane. Calhan et Liika par amitié. Zelmiane parce que…

Une pointe aiguë lacéra la poitrine de Suwa, la faisant frissonner. Zelmiane… Sa maîtresse, son amie. Sa rivale. Celle qu'elle haïssait et pour qui elle éprouvait malgré tout une intense affection.

« À moins, pendant qu'il est loin, Orbret ne partage pas sa couche ! »

Immédiatement, Suwa se repentit de cette pensée et de la bouffée de colère qui l'agitait. Elle n'avait pas le droit d'en vouloir à Zelmiane. C'était grâce à elle, grâce à son influence, qu'Orbret était devenu le premier capitaine du seigneur Akhebo. C'était aussi grâce à son influence que le mariage avait pu être officialisé sans l'accord explicite du seigneur Wiolan Hazuka, chef du clan, et de Tochi Afeytah, père d'Orbret ; et que Suwa pouvait accoucher dans cette belle maison bien chauffée.

Pourtant, dans l'âme de la future mère, une fêlure s'était formée, qui ne se refermait pas.

 

*

* *

 

Orbret saisit son casque, se leva et marcha jusqu'à la porte de la hutte. Il regarda les maisons qui s'échelonnaient à flanc de colline jusqu'aux premières cultures. Plus loin, au-delà d'une vaste étendue marécageuse, c'était l'océan.

Le jeune homme soupira. Comme ce pays différait des provinces du nord ! Il avait du mal à s'y faire. La nostalgie de ses montagnes le blessait. À la pluie, il préférait la neige.

Pendant un long moment, il contempla le paysage. Dans un sens, pourtant, ces croupes rondes et molles, ces champs, ces bosquets, ces vergers, ces chemins creux avaient un aspect reposant. Et les paysans qui vaquaient à leurs occupations séculaires, se protégeant de la pluie sous leurs capes et leurs grands chapeaux, indifférents en apparence au petit groupe de guerriers qui avaient établi leur camp chez eux, ces gens n'évoquaient en rien la guerre qui menaçait.

— Tu sembles rêveur, observa Calhan. À quoi penses-tu ? À ta femme qui, à cette heure, t'a sans doute rendu père ?

Orbret haussa les épaules. L'intervention de son ami, le troublant dans sa méditation, l'agaçait un peu.

— Je ne pensais à rien de précis, répondit-il. Mon esprit vagabondait… Oui, je songe à Suwa… Mais aussi à ces paysans, à ce village. Je songe à la paix.

— À la paix ?

— Oui… N'est-il pas navrant que les seigneurs s'entre-déchirent et que les guerriers doivent abandonner leurs terres pour les suivre ?

— Mais la guerre est notre raison d'être !

— Je ne le crois pas. J'ai beaucoup réfléchi à tout cela… Nous faisons notre devoir en nous battant pour notre blason, seulement pendant ce temps, les paysans meurent de faim et le pays est en proie à l'anarchie.

Calhan fixait son ami avec perplexité. Orbret poursuivit :

— Notre idéal devrait être la recherche de la paix, de l'accord avec le monde qui nous entoure. En me battant, j'ai l'impression de faire fausse route. Je ne trouve rien. Tout n'est que trouble en moi… Je prie pour les hommes que j'ai tués et je prie pour n'avoir pas à en tuer d'autres, tout en sachant que mon travail est de tuer… Je déteste tuer !

Calhan s'était si peu attendu à un tel aveu qu'il en resta sans voix. Orbret montra du doigt un paysan qui montait lentement vers le village, ployant sous une énorme charge de fagots.

— Je me demande aussi ce que donneraient ces hommes avec une arme à la main.

Son camarade éclata de rire.

— Des paysans armés ! Tu es fou ! Tu veux donner des sabres à des laboureurs ?

— Des sabres, non… Mais ils savent se servir de faux, de fourches et de haches.

— Et alors ?

— Ils pourraient les utiliser contre nos ennemis si nous parvenons à les convaincre de se battre à nos côtés.

— Tu rêves ! Ces gens ne sont pas des guerriers !

— Pourtant, nombre d'entre eux, en temps de guerre, s'enrôlent et deviennent de bons soldats. (Orbret se tourna gravement vers son ami.) Dans le nord, les paysans sont rudes et batailleurs. Pourquoi les gens de Kulin seraient-ils différents ? Et puis sommes-nous si nombreux pour négliger de possibles alliés, même frustes ?

Calhan considérait son interlocuteur. Les traits d'Orbret étaient crispés par l'intensité de sa réflexion, mais sa physionomie était encore celle d'un adolescent trop vite grandi, malgré sa stature élevée – il dépassait tous ses compagnons de plus d'une demi-tête.

— Songerais-tu vraiment à lever une armée de paysans ?

— Non… Ce n'est qu'une vague idée… Mais nous ne pouvons être partout pour veiller à nos frontières.

D'un mouvement du menton, Orbret montra les armures posées sur le sol de la hutte. Celles de cinq guerriers du clan du baron Mahoto Tom'taï. Ils avaient surpris ces hommes la veille, à l'intérieur des frontières de Teraga, et les avaient attaqués. Deux avaient été tués, les autres faits prisonniers. Orbret avait interdit qu'on les exécutât. Mais il leur avait fait raser le crâne pour les humilier et avait confisqué tous leurs effets, armures et vêtements compris. Il les avait alors chassés tout nus, pendant que les villageois se gaussaient d'eux et leur jetaient des cailloux.

Orbret ne se faisait guère d'illusion quant à l'efficacité d'un tel avertissement. Les ennemis du clan Hazuka étaient puissants. Les Mahoto Tom'taï, Skakuro Arietah, Tagusei, Woltan Krull et autres avaient assez de guerriers pour ne pas se soucier de la perte de cinq des leurs.

— Je pense que l'ennemi nous attaquera bientôt, reprit Orbret. Ses incursions à Teraga se font de plus en plus fréquentes. (Il continua, tendu :) Mon idée est que les paysans pourraient mener la vie dure à l'envahisseur. Il ne s'agirait pas de l'affronter ouvertement mais de le harceler, de tuer ses messagers, ses traînards, ses isolés, de piller ses convois de ravitaillement. Cela l'obligerait à maintenir dans les villages des forces importantes, et nous serions soulagés d'autant quand viendrait l'heure de la bataille.

Calhan semblait sceptique.

— Ces gens accepteront-ils de prendre des risques pour nous ? Si nous sommes vaincus, ils changeront de maître mais pas de vie.

— Sans doute… Néanmoins Wiolan Hazuka est un seigneur juste et relativement modéré en ce qui concerne l'impôt. Ils ne trouveront peut-être pas les mêmes avantages sous la domination de Mahoto Tom'taï. Sans compter qu'entre-temps, les armées adverses auront brûlé leurs maisons, violé leurs femmes et leurs filles et massacré pas mal d'entre eux !

— As-tu parlé de ça aux villageois ?

— Oui… Leur chef a été assez étonné, mais il n'a pas refusé mon idée. Il est prêt à se battre, et nombre d'hommes avec lui… pourvu qu'ils y trouvent leur intérêt.

Très étonné, Calhan considérait les silhouettes laborieuses sur les pentes et dans les champs.

— Étonnant… Comment as-tu pu les convaincre ?

Orbret se mit à rire.

— Il paraît que je suis un héros ! Tout est là !

— Que vas-tu faire ?

— Je vais vous laisser ici et rentrer à Tsuicken. Je parlerai au seigneur Akhebo. J'essaierai de le convaincre de former des milices de paysans armés. En attendant, tu entraîneras ceux-ci.

Calhan regardait son ami d'un air goguenard. Orbret rougit.

— Et j'apprendrai si mon enfant est né, conclut-il rêveusement.

 

*

* *

 

Suwa s'éveilla en entendant un faible vagissement. Elle se tourna sur le côté. Le sourire de Liika la rassura.

— Tout va bien. Je crois que ton fils a faim, tout simplement.

Suwa se redressa, le cœur battant. Le premier repas de son enfant ! Du fils d'Orbret… Elle écarta les pans de sa chemise et regarda sa poitrine neigeuse, le cœur étreint d'une subite angoisse. Aurait-elle du lait pour nourrir le bébé ?

Liika lui tendit le nourrisson, nu. Suwa le saisit avec un sentiment d'amour et d'étonnement. Ainsi donc, ce petit être était né de sa chair et de sa souffrance !

Elle lui sourit et, timide et maladroite, tenta de lui faire prendre le sein. Peine perdue. La servante eut un léger rire puis, forte de son expérience, avança la main afin d'aider la petite tête à rester en place. La bouche minuscule se moula à la pointe sombre du sein.

Les larmes aux yeux, Suwa ressentit une faible morsure, puis les suçons se firent plus nets.

— Il me tète ! dit-elle d'une voix extasiée. Liika… Il me tète !

Liika se permit un sourire qui cacha mal sa propre émotion. La servante aussi souriait. Vainement, Suwa s'efforça à l'impassibilité qui seyait à une femme de guerrier.

— Orbret est-il rentré ? interrogea-t-elle.

— Non.

— Il me tarde qu'il soit là… Il ne pourra pas encore voir son fils, mais au moins je pourrai lui parler à travers la porte.

— Tu pourras même le faire entrer, pourvu qu'il reste derrière un paravent… Il me semble que vous n'en êtes plus à bousculer un tabou, non ?

Suwa se sentit rougir jusqu'aux oreilles mais ne releva pas. Son aventure galante avec Orbret lui valait une certaine considération parmi ses jeunes amies… et de poignantes douleurs au fond de l'âme.

Pendant quelques minutes, la jeune femme laissa son bébé la téter. La sensation était douce, un peu angoissante.

— As-tu accroché une branche de saule devant la porte ? demanda-t-elle à Liika.

— Mais oui… Aussitôt que ton enfant est né ! Les mauvais génies ne viendront pas l'importuner… Mais au fait, lui as-tu trouvé un nom, à ton fils ? Il est temps qu'il en ait un.

Suwa inclina la tête. Elle regarda la petite figure ronde et plissée que couronnait une épaisse touffe de cheveux noirs tout raides.

— J'aurais aimé que ce soit Orbret qui lui donne son nom, dit-elle. Mais tu as raison. En son absence, c'est à moi de le faire. S'il mourait sans nom, il irait en enfer… J'ai choisi de l'appeler Zierthar, parce que dans le langage de ma tribu, cela veut dire « possède une crinière de loup » !

Liika et la servante éclatèrent de rire.

— Voilà qui lui va tout à fait ! s'écria Liika. Et de plus, c'est un très beau nom, peu commun !

Suwa sourit. Elle contemplait Zierthar, dont la tête avait roulé sur le côté.

— Il n'a plus faim, remarqua la servante. Je vais lui donner son bain.

La jeune mère acquiesça en soupirant. Comme elle regrettait qu'Orbret soit aussi loin, en ces heures ! Elle se sentait seule, à Tsuicken. Si elle n'avait pas eu la chaude amitié de Liika…

L'autre femme avait mis de l'eau à chauffer. Elle la versa dans une cuvette de porcelaine blanche – cadeau de dame Zelmiane. Suwa se rajusta et, se levant, souleva solennellement Zierthar dans ses bras. Puis elle le déposa doucement dans l'eau. L'enfant s'agita mais ne pleura pas.

— Il se montre courageux, apprécia Liika. C'est bien ! C'est un vrai fils de guerrier.

La servante saisit un savon doux et entreprit de frotter délicatement le bébé, que sa mère soutenait sous les bras. Liika regardait de tous ses yeux. À cet instant, il y eut du bruit à l'extérieur de la maison. On appela :

— Dame Suwa, dame Suwa ! Orbret Afeytah est de retour !

Suwa poussa un petit cri de bonheur. Puis, immédiatement, sa gorge se noua. Orbret était de retour, mais il ne pourrait la voir avant la fin du mois où elle restait impure, suite à son accouchement.

Les yeux voilés de larmes, elle songea à Zelmiane.

 

Akhebo Hazuka était un jeune homme aux manières à la fois ondoyantes et brutales, au regard parfois étincelant et parfois flou. La première fois qu'il l'avait vu, à son arrivée à Tsuicken, Orbret avait été frappé par la différence qui existait entre le père et le fils. Autant Wiolan Hazuka, malgré sa graisse, faisait penser à un colosse indestructible, tout d'une pièce, autant Akhebo rappelait – et c'était désagréable pour un guerrier – un serpent ou une anguille.

Orbret avait rejeté ces pensées indignes du respect qu'un vassal devait à son seigneur – ou au fils de son seigneur. Il s'était incliné très bas devant Akhebo et lui avait fait le récit de son voyage, sans trop s'étendre sur la bataille contre les brigands d'Ikjeddâ. Cependant, le jeune Akhebo avait déjà eu vent de ses exploits et s'était mis à lui en faire force compliments, le félicitant publiquement pour sa bravoure, son habileté tactique et le dévouement dont il avait fait preuve envers « sa bien-aimée mère, dame Ono, et la noble dame Zelmiane, concubine de son vénéré père et seigneur ».

Orbret avait accepté honneurs et compliments avec modestie, mais il avait ressenti un malaise qui ne l'avait plus quitté. Akhedo lui semblait en faire trop, et il se demandait si le vinaigre de la jalousie ne se cachait pas sous tout ce miel…

Orbret attendait à présent, dans la grande salle de réception du palais. Une heure plus tôt, à son arrivée à Tsuicken, une servante lui avait appris qu'il était père d'un petit garçon. Il avait accueilli la nouvelle d'un sobre hochement de tête, mais son âme s'était mise à chanter. Il lui tardait d'en finir avec Akhebo. Certes, il ne pouvait voir Suwa et son enfant, mais au moins, il pourrait demeurer non loin d'eux et jouir de l'heureux événement. Il écrirait une lettre à son père afin de s'excuser de sa conduite et lui apprendre la nouvelle. Il saurait bien trouver les mots pour faire partager son bonheur au vieux guerrier…

Akhebo Hazuka apparut enfin, suivi par quatre gardes du corps en armure. Orbret s'étonna de l'allure du fils de son seigneur. Akhebo laissait peser sur chacun un regard si autoritaire qu'il en était méchant. Il se redressait de toute sa taille dans des vêtements somptueux. Sa robe était de soie cramoisie, sa veste brodée de fils d'or. Son chapeau de gaze brillait à la lueur des torches. Orbret échangea machinalement un regard avec son voisin, un des intendants du palais, ancien officier, vieillard sévère qui n'avait jamais semblé apprécier de se trouver, en l'absence de Wiolan Hazuka, sous les ordres de son fils. Le vieil homme ne put que lui répondre par une mimique d'incompréhension. Akhebo tenait en outre un bâton de commandement à la main.

Il s'installa solennellement sur une haute chaise à dos sculpté, devant le présentoir où étaient exposés les bibelots précieux, les porcelaines et les trophées de guerre qui faisaient l'orgueil de son père. Jamais encore il n'avait occupé cette place, face aux guerriers assemblés.

Dans un silence de mort, ceux-ci s'inclinèrent, les mains sur le cœur. Il leur répondit par un bref salut plein de morgue.

— Guerriers, attaqua sèchement Akhebo, je dois vous faire part d'une nouvelle tragique. Mon père, le seigneur Wiolan Hazuka, a été attaqué par un tueur à gages à la solde de nos ennemis. Il a été grièvement blessé !

Un murmure de stupeur monta dans la salle. Le jeune homme frappa l'accoudoir de son trône à l'aide de son bâton, trahissant sa colère et son agitation.

— Nul ne peut savoir si notre malheureux sire survivra ! Mais il m'a fait savoir que c'est moi, désormais, qui suis le chef de notre clan, et ce jusqu'à ce qu'il soit remis, si les dieux décident de le guérir !

Akhebo marqua un temps. Son regard se voulait noble et dur, mais Orbret le trouvait simplement fou d'orgueil et d'autosatisfaction.

— Vous m'obéirez comme vous le faisiez pour le seigneur mon père ! Vous mourez pour moi si je vous en donne l'ordre ! Telle est la volonté des Hazuka !

Un profond silence régnait maintenant dans la salle. Orbret se sentait, comme chacun, consterné. L'indignation et la colère grondaient en lui ; mais, plus encore, l'inquiétude. Akhebo devenait effectivement leur chef tout-puissant. Se montrerait-il à la hauteur de la tâche ? Succéder à son père ne se bornerait pas pour lui à se pavaner dans des habits aussi beaux que ceux des courtisans de l'empereur…

Le jeune homme continuait de pérorer, fustigeant la lâcheté de ceux qui n'avaient pas craint de recourir aux services d'un vulgaire assassin parce qu'ils étaient incapables de vaincre le clan Hazuka sur le champ de bataille.

— Nous frapperons ces misérables avec la force de l'ouragan ! Nous envahirons les fiefs de ceux qui ont voulu déshonorer notre blason ! À la tête de notre armée, nous attaquerons nos ennemis ! Chacun, dans tout l'empire de Soratahr, connaîtra le poids de notre vengeance !

Il se gargarisait de phrases et brassait furieusement l'air de son bâton de commandement. Les guerriers écoutaient sans manifester le moindre enthousiasme. Comme ses compagnons, Orbret savait que ce serait folie que d'abandonner Tsuicken pour se lancer dans une expédition punitive hors de Teraga. Ils seraient écrasés par des forces bien supérieures en nombre, et la forteresse, vidée de ses défenseurs, n'aurait plus qu'à capituler. Ce serait la fin du clan Hazuka.

Mais qui oserait s'opposer aux ordres de celui que Wiolan Hazuka, blessé, leur avait donné pour nouveau seigneur ? La parole d'Akhebo avait force de loi, et nul n'avait le droit de la contester…

Le jeune seigneur se tut enfin. Il pointa son bâton vers Orbret qui, instinctivement, se redressa. D'une voix radoucie, presque mielleuse, Akhebo ordonna :

— Approchez, Orbret Afeytah !

Orbret s'avança et salua à nouveau son maître. Un serviteur lui présenta un tabouret, honneur insigne, et il s'assit.

— Vous êtes rentré de votre mission avant la date prévue. Pourquoi ?

Orbret porta sa dextre à son cœur.

— Seigneur, conformément à vos ordres, j'ai parcouru la région située entre les collines et l'océan. J'ai relevé les traces de plusieurs groupes ennemis. Il y a cinq jours, ma troupe en a intercepté un. Nous l'avons anéanti…

— Très bien ! exulta Akhebo.

Orbret fit le récit de l'incident. Akhebo rit beaucoup en apprenant qu'il avait renvoyé les survivants de la patrouille adverse chez eux, nus et le crâne rasé.

— J'ai jugé, seigneur, que l'affaire était si grave qu'il fallait que je rentre au plus tôt pour vous en avertir. Je vous ai ramené les armures de ces guerriers et leurs armes comme trophées. J'ajoute que j'ai fait porter un message au seigneur Mahoto Tom'taï afin de l'avertir de ne plus insulter notre clan en franchissant nos frontières.

Akhebo approuva de la tête. Ses yeux lançaient des éclairs, et bien qu'il s'efforçât au maintien calme qui seyait aux puissants de ce monde, Orbret devinait son agitation. Il n'en fut pas heureux. Le clan était en trop grand péril pour se voir commandé par un excité !

— Vous avez bien agi, Orbret Afeytah, approuva Akhebo. Même si, pour ma part, j'aurais fait dépecer vifs ces chiens et aurais renvoyé leur cuir tanné à Mahoto Tom'taï ! Pour vous récompenser, je vous annonce que vous chevaucherez à mes côtés lorsque nous partirons châtier nos ennemis !

Orbret se leva et s'inclina. Akhebo lui faisait incontestablement un grand honneur en le prenant comme second ; lui qui avait juste vingt ans et ne servait le clan que depuis deux années. Mais en l'occurrence, il ne s'en réjouissait pas. L'expédition que projetait son suzerain était une folie.

Il se redressa et dit, après une infime hésitation :

— Seigneur, croyez-vous qu'il soit opportun de porter le combat hors de nos frontières ? Notre clan passera pour être l'agresseur.

Un murmure approbateur monta de la foule des guerriers. Akhebo fronça les sourcils. Il imposa le silence en se frappant la cuisse d'un sec coup de son bâton.

— Peu m'importe de passer pour l'agresseur ! s'écria-t-il. Ce qui importe, c'est de venger mon père et de punir ceux qui l'ont frappé ! Je suis seul juge de la stratégie à appliquer. Mes ordres sont formels, et ceux qui s'y opposeront devront quitter le clan !

Nul ne parla. Aussi folle qu'elle soit, la décision d'Akhebo était sans appel. Orbret s'inclina à nouveau.

— Excusez-moi, seigneur, reprit-il, il est un sujet dont je désirerais vous entretenir sans retard.

Akhebo considéra le jeune homme d'un air méfiant mais lui fit signe de parler. Orbret exposa alors ses conceptions stratégiques et l'emploi qu'il souhaitait faire des paysans dans une guerre de harcèlement en cas d'invasion ennemie. Son interlocuteur l'écoutait avec un ennui grandissant, et il comprit que de tels plans à long terme n'intéressaient absolument pas Akhebo. Il continua néanmoins, avec fougue :

— J'ai laissé Calhan Artov, mon lieutenant, au village de Lara, avec pour mission d'organiser des milices et de les entraîner. Ai-je bien agi ?

Akhebo eut un geste dédaigneux.

— Vous avez agi d'une manière fort curieuse. Inciter de vulgaires manants à se battre ! Quelle idée… De toute manière, il n'y aura pas d'invasion, puisque nous frapperons l'ennemi chez lui, au cœur !

Orbret ne répliqua pas. À sa grande surprise, ce fut un vieux guerrier, presque un vieillard – qui portait néanmoins encore orgueilleusement le sabre et le poignard à la ceinture – qui le fit pour lui.

— Seigneur, commença le soldat, excusez-moi d'intervenir, mais je pense qu'Orbret Afeytah a raison. Nous ne devons pas négliger la possibilité que l'adversaire soit assez fort pour nous envahir ! (Les traits d'Akhebo se crispèrent. Imperturbable, son vassal poursuivit :) Votre père a toujours eu au plus haut point le respect de ses ennemis. Vous devez acquérir ce respect, apprendre à ne sous-estimer personne et, surtout, ne pas vous surestimer.

À présent, Akhebo haletait de colère. Orbret regardait l'orateur avec étonnement. Il le connaissait un peu. Il s'appelait Lomera et avait été un des professeurs de l'école de combat que Wiolan Hazuka avait établie en sa forteresse. Mais même cette haute fonction ne lui donnait pas le droit de parler au jeune seigneur comme il le faisait. Orbret lui fut reconnaissant de son aide.

— Seigneur, déclara-t-il, je partirai avec vous. Calhan Artov, lui, pourra poursuivre la tâche que je lui ai confiée. Il s'y entendra à merveille…

— Assez ! (Akhebo avait crié.) C'est entendu, poursuivit-il d'une voix tremblante de fureur contenue. Que Calhan Artov continue sa tâche, comme vous dites. Quant à vous, Lomera… (il pointa son bâton sur le vieil homme), vous ferez partie de mon expédition. Je verrai alors si vous êtes aussi hardi en actes qu'en paroles !

Lomera s'inclina et recula. Orbret ne savait trop quoi faire. Mais, soudainement, Akhebo se tourna vers lui avec un sourire désarmant de charme.

— Orbret Afeytah, reprit-il, la nouvelle m'est venue que votre charmante épouse, dame Suwa, a donné le jour à un garçon répondant à l'étrange nom de Zierthar… J'imagine que vous devez avoir hâte de parler à dame Suwa… Je ne vous retiens donc pas.

Orbret s'inclina à son tour. Akhebo fit claquer son bâton de commandement contre sa cuisse.

— Et maintenant, que chacun se retire !

 

Orbret ne pouvait voir Suwa, mais il l'entendait. Elle l'avait effectivement laissé pénétrer dans la maison, et elle lui parlait depuis l'autre côté d'un haut paravent, qui délimitait l'espace tabou où il ne devait pas entrer. Elle lui racontait sa fierté de lui avoir donné un fils, son bonheur que ce fils soit beau et robuste, son impatience enfin de le voir, lui Orbret, et de se blottir dans ses bras.

Le jeune homme écoutait sa femme tout en mangeant. Mais il ne goûtait guère le ragoût de venaison et les légumes qui l'accompagnaient, non plus que le vin aromatisé. Il était soucieux. Il pensait à Tochi, dont le petit-fils ne porterait pas le nom. Il pensait à ce qui s'était dit sans la salle du conseil. Il pensait à Calhan, resté à Lara.

Et surtout, il pensait à Zelmiane…

Suwa dut deviner la distraction de son mari, car elle reprit après un temps, la voix changée, humble :

— Pardon, seigneur, si je t'ennuie avec mon bavardage. Tu dois avoir d'autres sujets de réflexion que les propos d'une sotte créature qui ne sait pas tenir sa langue. Mais je suis si heureuse que tu sois de retour !

Orbret reposa son écuelle, et sourit comme si Suwa pouvait le voir.

— Tu n'es pas une sotte créature, mon épouse, répondit-il. C'est moi qui ne réalise pas encore très bien ce qui nous est arrivé. Le jour où je verrai Zierthar…

Il s'interrompit. Il y avait peu de chance que ce jour arrivât jamais. Demain, il partirait en campagne avec son seigneur et, selon toute vraisemblance, il trouverait la mort au combat. Si cette perspective ne l'effrayait aucunement, elle le contrariait fort. Mourir, c'était le sort de tout guerrier. Mais pourquoi mourir inutilement ?

— C'est vrai, disait Suwa. Moi-même, si je n'avais pas Zierthar à côté de moi, je n'y croirais pas, et…

Elle se remit à parler, bavarde comme une pie. Orbret écouta, à la fois irrité et amusé. Suwa ne se rendait pas compte qu'ils vivaient des heures graves. Ce qui après tout, était peut-être mieux. Mais comment réagirait-elle quand elle apprendrait la nouvelle de sa mort ?

Il eut envie de lui poser la question mais ne voulut pas gâcher sa joie alors qu'il arrivait à peine… Elle réagirait tout simplement en femme de soldat. Avant de partir, il lui laisserait une lettre, avec ses instructions quant à l'éducation de Zierthar et la manière dont elle devrait refaire sa vie. Une lettre où il lui demanderait de lui pardonner.

De lui pardonner quoi ? D'en aimer une autre ?

Une servante entra, pour débarrasser la petite table devant laquelle Orbret était accroupi. Elle hésita, regarda à droite et à gauche comme si quelqu'un risquait de la voir, bien que le paravent la dissimulât aux yeux de Suwa. Puis, vivement, elle tira un papier roulé de sa manche et le tendit. Orbret le saisit silencieusement.

La femme se retira, emportant les reliefs du dîner. Le jeune homme se leva.

— Je vais partir, dit-il. Il est temps d'aller me coucher.

Suwa eut un petit gémissement.

— Tu pars, mon aimé ? déplora-t-elle. Je pensais que tu dormirais ici.

— Non. Je ne puis m'attarder en ce lieu où tu as enfanté. (Il soupira.) Et tu ne m'as pas compris, Suwa… Je veux dire que je pars demain avec Akhebo. Nous allons nous battre.

— Orbret ! Ce n'est pas vrai !

— Ce sont les ordres de mon seigneur. Je ne peux m'y soustraire.

Il se tut en entendant les sanglots étouffés de Suwa. Il eut honte de lui. Mais le papier, contre sa poitrine, le brûlait !

— Il ne faut pas pleurer, reprit-il sévèrement. La vie du guerrier est de se battre, et celle de son épouse de se résigner. Prends bien garde à toi et veille sur Zierthar. C'est ton devoir !

Il sortit à grands pas, sans attendre la réponse, et s'éloigna dans le jardin obscur.

 

Orbret marcha jusqu'à se retrouver sous une lanterne. Là, il déroula le papier : Dans la tour sous la lune, l'hirondelle attend le faucon qui saura l'aimer et la transporter.

Le jeune guerrier resta immobile, lisant et relisant le message sibyllin. Son impatience était égale à sa douleur. Il se sentait déchiré. Mais il savait qu'il ne résisterait pas à l'appel de sa maîtresse.

Il tourna la tête vers la maisonnette devant laquelle était accrochée la branche de saule rituelle. Suwa… Suwa qui devait pleurer son départ.

Il leva les yeux vers les remparts. Une tour élancée coiffée d'une échauguette se dressait vers le ciel. La tour sous la lune.

Orbret enflamma le papier à la mèche de la lanterne. Il le regarda se consumer, écrasa les cendres sous sa botte puis se dirigea vers la tour.

Zelmiane était seule dans son appartement quand il entra. Assise sur un coussin vert pâle, elle versait du vin dans deux grandes coupes à haut pied. Ses cheveux, dénoués, retombaient le long de son dos jusqu'à effleurer le sol. Elle avait les seins nus, et sa jupe fendue laissait deviner sa cuisse et sa hanche.

Les deux jeunes gens se regardèrent sans parler. Zelmiane apparaissait à Orbret comme une déesse de la beauté, de l'amour. Son visage était l'harmonie même et son maquillage étirait ses grands yeux sombres jusque vers ses tempes. Elle sourit. Il nota qu'elle respirait vite.

— Ce vin vient de très loin, dit-elle doucement. Il est très vieux. Savoure-le, mon aimé… Pénètre-toi de son arôme !

Elle lui tendait un verre. Son compagnon s'approcha, fasciné par chacun de ses gestes, chacune de ses paroles. Elle était magique…

Il s'agenouilla devant elle, saisit la coupe. Ensemble, les yeux dans les yeux, ils burent. Zelmiane avait raison. Le vin était un véritable nectar. Jamais Orbret n'en avait bu de pareil.

Zelmiane finit son verre et le reposa. D'un mouvement gracieux, elle s'agenouilla, comme son amant. En face de lui.

— Je te félicite pour la naissance de ton fils, reprit-elle d'une voix ténue. Je n'ai pas vu l'enfant, mais Liika m'a dit qu'il est très beau.

— Je… je vous remercie, noble dame, répondit Orbret, mal à l'aise.

Zelmiane se mit à rire.

— Comme te voilà cérémonieux !

Il rougit. Il dévorait la jeune femme des yeux. Son pectoral d'or était une merveille, mais ses seins, ronds, fermes et lourds, aux longues pointes sombres, étaient encore plus merveilleux. Jamais aucune femme ne serait plus belle qu'elle !

— Je suis soucieuse, déclara Zelmiane. J'ai appris la nouvelle de l'attentat dont a été victime Wiolan Hazuka.

— Nous sommes tous atterrés. Mais notre clan ne reste pas sans chef. C'est Akhebo notre seigneur, maintenant.

— Oui… Jusqu'à ce que son père soit rétabli. (Le regard de Zelmiane se fit incisif.) Je redoute qu'Akhebo ne mène le clan à sa perte. C'est un incapable ! Son ambition lui tient lieu d'intelligence !

Orbret ouvrit de grands yeux. Il était presque inconcevable qu'une concubine critique ainsi le fils de son seigneur. Sans doute se trouvaient-ils seuls, tous les deux, mais quand même…

Zelmiane eut un sourire un peu ambigu, devinant les pensées du jeune homme.

— Je te choque, vassal fidèle ! se moqua-t-elle. C'est pourtant la vérité, et ne viens pas me dire que tu penses autrement que moi. Je te connais !

Elle rit. Mais Orbret, lui, ne rit pas. Zelmiane était une femme étrange. Elle avait son franc-parler et des manières qu'on ne trouvait généralement pas chez une personne de son sexe. Il aurait dû la réprimander pour ses propos. Il ne le fit pas.

Elle continua :

— Je connais aussi Akhebo… Il est vraiment dommage que tous les autres fils de Wiolan Hazuka soient morts en bas âge.

Orbret garda le silence.

— Est-il vrai que tu pars en campagne demain ?

— C'est vrai.

Zelmiane se rapprocha d'Orbret. Elle était tout à coup grave.

— Alors, Orbret Afeytah, pénètre-toi d'une certitude : le véritable chef de l'armée de notre clan, ce devra être toi !

— Moi, mais…

— Laisse-moi parler… Il te faudra faire preuve de subtilité pour qu'Akhebo ne s'en aperçoive pas. Sinon, il te vouera une haine mortelle… Mais c'est ton intelligence qui permettra peut-être d'éviter un désastre et de sauver le clan. Une lourde tâche t'attend !

Orbret hocha la tête. Il avait envie de prendre Zelmiane dans ses bras, de ne pas songer à la guerre, à la mort. Il voulait se fondre en elle, dans le brasier de son ventre. Il leva une main, malgré lui, effleura ses seins. Elle se mordit les lèvres. Elle reprit, plus bas, son souffle se raccourcissant :

— Il y a une autre raison pour laquelle tu dois te méfier d'Akhebo… Il me désire.

Orbret eut un violent sursaut et retira machinalement sa main.

— Quoi ? Mais…

— C'est la vérité… Bien sûr, il n'a jamais osé me manquer de respect, car l'insulte faite à son père serait telle qu'il perdrait l'honneur. Mais s'il apprenait que nous sommes… amants… ce serait terrible, Orbret ! Seule la mort pourrait nous sauver de sa haine.

Le jeune homme soupira. Il n'avait jamais rien soupçonné.

— Il ne pourra l'apprendre… Seule Suwa… sait.

Ils se turent. Doucement, Zelmiane se laissa aller contre lui. Il referma les bras sur ses épaules.

— Ne pensons plus à tout cela, souffla-t-elle. Cette nuit, je veux être toute à toi !

Il la berça un moment contre sa poitrine. Puis elle leva la tête, et ils s'embrassèrent. Leur baiser se prolongea, se fit ardent, torride, passionné. Quand ils se séparèrent, elle haletait. Fébrile, elle se défit de sa jupe. Elle ne portait aucun linge de corps.

— Vite ! gémit-elle. Je n'en peux plus de toi !

Elle se renversa sur le dos, l'attira sur elle, meurtrissant sa chair aux rudes ferrures de la tunique de guerre, au mousqueton du baudrier d'armes, aux coutures des braies de cuir. Sans prendre le temps de se déshabiller, dans cet élan de violence qu'elle désirait, il la posséda.

Plus rien ne compta que l'instant présent. Suwa n'exista plus, ni Zierthar, ni Akhebo, ni Wiolan Hazuka, ni la guerre imminente. Tout bascula en face du désir, de l'amour et de la passion. Une passion interdite, sacrilège. Une félonie.

Orbret et Zelmiane le savaient, qui l'acceptaient avec une sourde allégresse. Leur damnation leur était jouissance.

Quand il s'épancha en elle, elle murmura :

— Enfin… Enfin… Que le temps fut long, mon amour !